Étoffer l’absence
étouffer l’absence
et tout fait l’absence
- ce que me fait l’étoffe -
Si je tiens tant à tes vêtements c’est peut-être parce qu’ils sont la preuve la plus palpable de tout ce que tu laisses derrière toi et ce par quoi tu continues à m’agir. Jusqu’à ta mort, je ne savais plus prêter attention ou importance à ce qui ne se voit pas, à ce qui ne se touche pas. Pourtant, j’avais su. Enfant, j’allais seule en forêt pour y retrouver toutes les présences que l’on ne peut que sentir. Je ne parlais pas d’elles, je parlais avec elles, et en silence. Je me liais, sans chercher à expliquer ni définir. Il ne s’agissait que d’être. Puis, j’ai appris qu’il ne fallait se fier qu’à ce qu’on appelle « le réel », et qu’une relation n’existe que par la matérialité d’un corps et de ses objets. J’ai grandi, j’ai acquis.
Mais la mort bouscule les acquis, et les force à faire chemin inverse. On désapprend, on revient à ce que sait le corps, à ce que sent le corps. Ce qui nous meut ne s’attrape pas toujours par la main comme une pêche mûre. C’est peut-être aussi le retour inlassable des saisons, un rappel que le temps est une spirale, et qu’une disparition n’est jamais totale. C’est peut-être encore la couture défaite d’un vêtement, qui chuchote dans son coin combien l’existence fut brève et bonne.
Que reste-t’il de toi ?
Tes vêtements esseulés donnent matière à l’ambivalence de ta nouvelle condition. La mort est absence, l’étoffe est présence. La mort est présence, l’étoffe de la morte est absence. Au carrefour de tes étoffes mon corps sait ce qu’il sent, sent qu’il sait : tes vêtements disent que tu n’es plus là mais que tu l’as été, mon corps dit que tu n’es plus là mais que tu l’es encore.
La matière de tes tissus fait forêt.
- Juliette Rousseau
photogrammes et vidéos, France, 2022-2023