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DÉFAIRE LES CORPS

DÉFAIRE LES CORPS

« Non le corps immobile dans ses propriétés éternelles, mais le corps dans l’histoire, aux prises avec les changements du temps, car le corps a une histoire physique, esthétique, politique, idéelle et matérielle, dont les historiens ont pris progressivement et récemment conscience. »

Michelle Perrot

Un homme en jockstrap, sandales et chemise en jean escalade la façade d’une maison. Son sexe est au contact des pierres, ventre et cuisses collées contre la paroi rugueuse ; le tendre contre le dur. J’imagine qu’un·e de ses ami·es l’attend de l’autre côté de la fenêtre, une fois qu’il aura réussi à enjamber le rebord. Je sais aussi qu’une autre personne, en contrebas, le regarde faire cette étrange ascension et le photographie. Sa nudité me surprend et pourtant elle n’est pas le centre de l’événement, ou plutôt elle n’est pas l’unique propos de l’image. Ces images ne parlent pas du corps qui s’offre au regard, mais de ce qu’il invente et permet.

Dans la série, iels sont nombreux·ses à évoluer nu·es dans ce paysage. L’un·e d’elleux fait le poirier dans un camion qui peine à contenir son long corps, s’assoit sur une voiture – on voit son cul sur le pare-brise et le paysage derrière. Il y a des couples, des embrassades, des étreintes et des moments de solitude, des clichés pris à la lisière de l’acte sexuel, des moments de joie et une forme de nostalgie aussi, puisque tout ce qui se déploie sous nos yeux a été possible mais est désormais fini. On imagine que les liens ont évolué, que certains se sont défaits même, que ce collectif après s’être réuni autour de la contraception thermique, s’est ensuite séparé. Les photographies dévoilent un temps qui semble d’abord tendre et serein. Elles ne disent pas les ruptures, les silences, la violence aussi parfois et pourtant, tout ceci est mêlé et se devine sous la surface inquiète de quelques images : une tristesse qui passe sur un visage, une silhouette dans un recoin d’ombre.

Pour cette série, la photographe Rebekka Deubner a suivi un groupe de personnes pratiquant la contraception thermique. Pour mettre en place cette méthode, il faut utiliser, voire fabriquer des sous-vêtements adaptés, ou des anneaux testiculaires. On voit certains de ces artefacts en regard des portraits : une galerie de choses encore rarement vues et documentées, des fragments d’intimité bricolés et rendus ici dans une précision typologique.

Pour l’une des photographies, une personne vêtue d’une chemise en satin mauve et soyeux a enfilé une sorte de gode en tissu blanc, dont elle tient la base. Ce postiche sert à montrer les gestes à accomplir, c’est un modèle anatomique aux allures de sextoy en chiffon. De prime abord, on ne sait pas exactement ce que l’on regarde, quel est cet objet. Notre méconnaissance raconte la longue incorporation de la différence sexuelle, cette fiction inventée par le XVIIIe siècle pour soumettre certains corps.

Dans son ouvrage La Fabrique du sexe, l’historien Thomas Laqueur rappelle que c’est à cette période que « des organes qui avaient partagé le même nom – ainsi les ovaires et les testicules – se trouvèrent désormais distingués au niveau linguistique. Des organes que l’on n’avait pas encore distingués par un nom propre – le vagin par exemple– s’en virent attribuer un », et il ajoute : « le corps des femmes en vint à supporter un nouveau poids de signification tout à fait considérable. » Parmi ce fardeau qui leur revient, les femmes doivent prendre en charge le contrôle de la fécondité et donc d’éventuels moyens de contraception.

Et c’est justement à rebours de ces injonctions que les images de Rebekka Deubner nous permettent de penser. Les corps que l’on découvre déjouent les assignations de genre, l’aventure n’est plus solitaire mais collective, la contraception et le désir se politisent. Pour un temps, les corps tels que nous les connaissons se défont et d’autres liens affleurent.

- Hélène Giannecchini 

En espace
  • « Expositions »
2025
  • « saisons thermiques », exposition personnelle, shmorévaz, Photo Saint Germain, Paris

    DÉFAIRE LES CORPS

    « Non le corps immobile dans ses propriétés éternelles, mais le corps dans l’histoire, aux prises avec les changements du temps, car le corps a une histoire physique, esthétique, politique, idéelle et matérielle, dont les historiens ont pris progressivement et récemment conscience. »

    Michelle Perrot

    Un homme en jockstrap, sandales et chemise en jean escalade la façade d’une maison. Son sexe est au contact des pierres, ventre et cuisses collées contre la paroi rugueuse ; le tendre contre le dur. J’imagine qu’un·e de ses ami·es l’attend de l’autre côté de la fenêtre, une fois qu’il aura réussi à enjamber le rebord. Je sais aussi qu’une autre personne, en contrebas, le regarde faire cette étrange ascension et le photographie. Sa nudité me surprend et pourtant elle n’est pas le centre de l’événement, ou plutôt elle n’est pas l’unique propos de l’image. Ces images ne parlent pas du corps qui s’offre au regard, mais de ce qu’il invente et permet.

    Dans la série, iels sont nombreux·ses à évoluer nu·es dans ce paysage. L’un·e d’elleux fait le poirier dans un camion qui peine à contenir son long corps, s’assoit sur une voiture – on voit son cul sur le pare-brise et le paysage derrière. Il y a des couples, des embrassades, des étreintes et des moments de solitude, des clichés pris à la lisière de l’acte sexuel, des moments de joie et une forme de nostalgie aussi, puisque tout ce qui se déploie sous nos yeux a été possible mais est désormais fini. On imagine que les liens ont évolué, que certains se sont défaits même, que ce collectif après s’être réuni autour de la contraception thermique, s’est ensuite séparé. Les photographies dévoilent un temps qui semble d’abord tendre et serein. Elles ne disent pas les ruptures, les silences, la violence aussi parfois et pourtant, tout ceci est mêlé et se devine sous la surface inquiète de quelques images : une tristesse qui passe sur un visage, une silhouette dans un recoin d’ombre.

    Pour cette série, la photographe Rebekka Deubner a suivi un groupe de personnes pratiquant la contraception thermique. Pour mettre en place cette méthode, il faut utiliser, voire fabriquer des sous-vêtements adaptés, ou des anneaux testiculaires. On voit certains de ces artefacts en regard des portraits : une galerie de choses encore rarement vues et documentées, des fragments d’intimité bricolés et rendus ici dans une précision typologique.

    Pour l’une des photographies, une personne vêtue d’une chemise en satin mauve et soyeux a enfilé une sorte de gode en tissu blanc, dont elle tient la base. Ce postiche sert à montrer les gestes à accomplir, c’est un modèle anatomique aux allures de sextoy en chiffon. De prime abord, on ne sait pas exactement ce que l’on regarde, quel est cet objet. Notre méconnaissance raconte la longue incorporation de la différence sexuelle, cette fiction inventée par le XVIIIe siècle pour soumettre certains corps.

    Dans son ouvrage La Fabrique du sexe, l’historien Thomas Laqueur rappelle que c’est à cette période que « des organes qui avaient partagé le même nom – ainsi les ovaires et les testicules – se trouvèrent désormais distingués au niveau linguistique. Des organes que l’on n’avait pas encore distingués par un nom propre – le vagin par exemple– s’en virent attribuer un », et il ajoute : « le corps des femmes en vint à supporter un nouveau poids de signification tout à fait considérable. » Parmi ce fardeau qui leur revient, les femmes doivent prendre en charge le contrôle de la fécondité et donc d’éventuels moyens de contraception.

    Et c’est justement à rebours de ces injonctions que les images de Rebekka Deubner nous permettent de penser. Les corps que l’on découvre déjouent les assignations de genre, l’aventure n’est plus solitaire mais collective, la contraception et le désir se politisent. Pour un temps, les corps tels que nous les connaissons se défont et d’autres liens affleurent.

    - Hélène Giannecchini 

Parutions
2023
  • les saisons thermiques, Image Issue 2